lundi 21 avril 2014

Poubelle la vie

Voici une histoire écrite l’an dernier et qui faisait partir du recueil de nouvelles pour jeunes lecteurs Histoires en train... bonne lecture !

Poubelle la vie

Un journal, je suis coincée sous un journal ! Plié dans le sens de la longueur. A cause de ce sale moutard. Depuis que je suis dans ce wagon, il me chasse constamment alors que moi, je veux seulement manger ses restes et pondre mes larves ! Il essaie tout le temps de m’écraser avec son livre ou le plat de se main.
Mais des armes comme ça, laissez-moi rire ! Grâce à la puissance de mes yeux, j’anticipe, je voltige, je feinte et je m’échappe! Par contre, le coup du journal, c’est une première.
Près de son genou, je me baladais à l’intérieur de la poubelle, en train de chercher de quoi grignoter. Il l’a ouverte délicatement, les yeux au ras du couvercle, je suppose qu’il m’avait repérée quand je m’y étais glissée quelques instants avant. Il s’était emparé d’un journal, sûrement emprunté à sa mère, l’avait tordu pour en faire une massue et m’avait attendue.

Dès que j’ai eu assez de place pour m’échapper, j’ai fait tourner mes ailes à plein régime et je suis sortie… mais à peine posée sur la tablette, j’ai senti un courant d’air venir dans ma direction. Mes yeux se sont alors pointés sur le môme, et j’ai constaté avec horreur qu’il était en train de diriger son journal vers moi, avec un air évident de plaisir. Je n’ai pas eu le temps de bouger que le canard s’écrasait sur moi.
Mais je m’en suis sortie, il n’avait pas été assez précis et le coup m’a laissée inconsciente. Je dois mon salut à l’arrogance de mon adversaire qui n’a même pas daigné soulever l’arme du crime pour voir si j’étais bien morte !

Du coup, je prends la mouche et décide de me venger de lui. Je dois agir vite, le coup a laissé des séquelles sûrement irréversibles et je n’en ai donc pas pour longtemps avant de rejoindre le paradis des mouches…à ce qu’on dit, c’est une énorme montagne d’excréments et de déchets qui grouille de vermine, et ça vrombit comme un moteur !
J’arrive péniblement à m’extirper du journal et vole maladroitement vers le gamin, en train de se vanter à son frère de son exploit criminel. Je le survole, silencieuse comme un Sioux, puis le téléphone compliqué de sa mère surgit alors dans mon champ de vision. Sa mère tripote constamment ce petit objet perfectionné : ça doit être important pour elle. Mais là, elle est partie visiter les charmantes toilettes du train et l’a laissé devant elle sur sa table. Une idée germe en moi et commence à s’agiter comme un ver frétillant dans un tas d’immondices.

Je fredonne un instant près de l’oreille du môme, exécute deux piqués et un looping pour le narguer et être sûre de l’énerver, puis viens bruyamment parader sur le téléphone. Comme prévu, cette brute m’a repérée et tente discrètement de rapprocher sa main. Patiente et immobile, les yeux pointés dans sa direction, je guette le moindre mouvement de sa part. Soudain, il tend le bras en arrière.
Je me prépare aussi, prête à décoller. Ca y est, son bras s’abaisse enfin au- dessus de moi, il va me donner le coup de grâce. J’attends le dernier moment, puis mets les gaz à la dernière fraction de seconde.
A peine décollée, j’entends derrière moi un réjouissant vacarme : comme prévu, le téléphone a été complètement fracassé ! Il vient de chuter dans le grand couloir poisseux du train et de voler en éclats ! Le temps que je trouve un endroit pour me poser, la mère accourt déjà en hurlant et se prend la tête à deux mains en découvrant l’œuvre de son fils!

Le gosse pleurniche mais rien ne semble calmer les cris de la mère, qui s’en prend maintenant à lui et lui annonce qu’il va être privé de jeux-vidéos pendant un mois. Mon vocabulaire limité ne me permet pas de savoir ce que sont les jeux-vidéos, mais les larmes qui coulent sur sa mine déconfite et ses bruyants reniflements ne laissent pas de doute. Allez, mouche-toi petit !

Je tiens ma revanche. Alors j’essaie de m’envoler vers un autre wagon, mais mes ailes refusent de rentrer en action…
Je suis très fatiguée, j’ai mal partout…
Mes dernières forces m’abandonnent…
Montagne géante, me voilà…


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